Ces semaines sont passées vites. Je n'avais collecté que quelques liens alors que pour les deux premières lettres je débordais sous les idées. Finalement, en commençant à écrire à partir de ce que j'avais glanné, des thématiques se sont construites. Nous parlerons donc des communautés sur internet, de carthographie et de communication avec le futur. J'espère qu'elle vous plaira autant que cet exercice d'écriture me fait du bien.
Ethngraphie numérique
J'ai croisé le chemin d'une vidéo passionnante qui s'intéresse à celleux qui ont investi Tumblr au milieu des années 2010. Iels ont inventés une myriade d'identités de genre et d'orientations sexuelles et romantiques, qu'on designe souvent sous l'acronyme MOGAI (Marginalized Orientations, Gender Identities And Intersex). Souvent, iels ont été moqué·es pour l'extrême spécificité de ces identités, parfois inventés sans être revendiqués par quiconque. Cette hyper précision semblait empêcher toute portée politique. Par exemple une personne Mistigenre perçoit son genre comme de la brume ou du brouillard. En essayant de l'attrapper (le penser, le décrire) il glisse des mains et revient seulement quand vous avez arrêtez d'essayer de l'attraper.
La vidéaste Lily Alexandre essaye de prendre de la hauteur et revient avec beaucoup de nuance et de justesse sur ce que nous apprend cette communauté. Elle aborde notamment les limites d'internet comme unique espace de militantisme pour les personnes LGBTI, qui fait tendre vers une précision extrême du vocabulaire au détriment d'un travail sur les conditions matérielles d'existence. Elle raconte comme le dénigrement de ces identités multiples a servi d'autres discours pas forcément plus vertueux, discute de la difficultés que peut avoir une communauté à se fédérer en se constituant autour d'autant de termes. Enfin, elle rappelle la place initiatique qu'ont pu prendre ces espaces numériques dans le parcours de certain·es, parce qu'après tout, "they were all 13 years old".
J'apprécie beaucoup celles et ceux qui arrivent à traiter des communautés numériques avec finesse et à comprendre leur effets sur les membres de ces groupes et sur la société. Dans une posture un peu différente de la vidéo de Lily Alexandre, le podcast Community Manager me plaît beaucoup, chaque épisode raconte une communauté méconnue d'internet.
Tant que nous parlons des évolutions numériques, je conclue avec cet historique graphique des barres de défilement/scrollbar (le petit truc qui vous indique où vous êtes quand vous scrollez verticalement) de 1985 à nos jours et cette compilation de design des fenêtres qui s'ouvrent quand on souhaite redémarrer son ordinateur.
Cartographies
J'ai une relation d'amour-haine pour la cartographie. C'est à la fois un outil que j'utilise beaucoup dans mon travail de designer, pour représenter mes idées et les liers entre elles, mais c'est aussi une source de frustration infinie. J'ai l'impression que ça ne peut jamais être complètement exhaustive, et c'est dur de l'accepter. J'ai la sensation que ce ne sont jamais des objets finis, et utilisable. En plus, il faut parvenir à trouver un équilibre entre une cohérence graphique générale et des règles pas trop contraignantes, pour rester spontanné et pouvoir ajouter des élements qui ne rentrent pas dans nos cases.
C'est un outil que je n'utilise quasiment que pour moi. J'y suis assez peu sensible en tant que lecteur : je ne sais jamais par où commencer et j'ai du mal à me concentrer assez longtemps pour comprendre ce qu'elles sont censées démontrer. Par contre, j'aime regarder la forme que prennent les cartographies des autres, sans m'attarder nécessairement sur ce qu'elles disent. Plutôt en observant les couleurs, la forme que cela dessine, les choix et les petits accidents de parcours.
Je vous parle de tout ça parce que sur Twitter, j'ai croisé les cartographies d'un complotiste qui n'a manifestement pas ce problème d'exhaustivité.
Est-ce que des gens lisent réellement ce genre d'images ?
Je suis un peu gêné par le ton pathologisant de l'auteur des tweets. Je trouve ça intéressant de se plonger dans ces cartes. Elles sont d'une extrême densité et d'une grande complexité. Je me demande est-ce qu'elles ne se résument pas justement à cette sensation de complexité : pas besoin de la lire en détail, puisqu cette carte semble complexe et fouillée, c'est surement qu'elle est juste !
Ces cartographies m'ont fait penser au travail, bien plus recommandable politiquement, du collectif Bureau d'études. Ils et elles cartographies les pouvoirs et les systèmes de domination : les liens entre les États et les groupes fascistes, les fichiers numériques possédés par l'État sur les individus, …
Une carte des différentes représentations préhistorique de chevaux en Europe :
Et puis LA carte indispensable à toute vie humaine : celles des noms donnés aux neveux de Donald Duck dans les différents pays d'Europe.
Une petite exclusivité pour celles et ceux qui lisent cette lettre depuis la version web et pas depuis leur boîte mail. Je viens de me souvenir de cet incroyable thread de Jules Grandin, cartographe, qui fait un classement des différentes emojis globe.
Design atomique
Une agence Ukrainienne a conçu un logo pour la zone d'exclusion de Chernobyl.
Si le logo est très malin, la zone noire qui représente l'espace interdit diminue avec les années sur le logo comme dans la vraie vie, l'agence présente le logo sur des mock-up (des images de tshirt, de panneaux publicitaires dans lesquels on peut intégrer son visuel pour simuler ce à quoi il pourrait ressembler en conditions réelles) dont le choix me paraît très étrange. Le logo est représenté sur des t-shirts, des timbres, des affiches dans le métro, comme s'il s'agissait d'une marque de fringues et pas d'un accident nucléaire. Le boss final du marketing territorial ?
Tout ça m'a fait repenser à ce podcast, qui raconte les pistes envisagés par les équipes de gestion des déchêts nucléaires de certains pays pour communiquer sur leur dangerosité à des échelles temporelles allant jusqu'à 10 000 ans. La proposition que je préfère est de loin celle-ci : introduire des chats génétiquement modifiés dans les zones à risques pour les rendre phosphorescents en présence de radiations. En parallèle, inventer des légendes urbaines, des mythes et des récits autour de ces chats pour s'assurer que se transmettent dans le temps l'idée qu'il faut éviter les chats qui brillent.
Tiens, tant que nous parlons de nucléaire, si comme moi vous aviez toujours eu la flemme de comprendre ce qu'il se passait autour de Jean-Marc Jancovici, ce long mais merveilleux article raconte avec justesse le phénomène autour du personnage, ses idées et son influence.
Quelques bidules en pagaille
Internet Archive, qui essaye de garder des traces d'un maximum de sites internet, lance un moteur de recherche d'articles scientifiques parmis sa base de donnée : https://scholar.archive.org/
Il y a 20 ans, des animateur·ices de colos avaient proposés à des enfants de fabriquer une statue pleine de messages pour le futur. Elle vient d'être ouverte.
Vous l'avez sans doute vu passer, mais voilà un outil pour générer des sons de bébés qui pleurent, des problèmes de connexions ou un bruit de chantier quand vous devez fuir une visio.
Un article sur les dérives commerciales des influenceuses sexualités sur Instagram
Des dessins des systèmes racinaires de pleins d'espèces d'arbres.
Et un dernier onglet…
Cette semaine, je n'ai toujours pas lu cet article de Hubert Guillaud sur “la nouvelle ère des licences libres”.
Merci de m'avoir lu. Si vous aimez cette lettre ou qu'elle vous a fait penser à des choses, que vous avez de retours à me faire, n'hésitez pas à m'écrire en répondant à ce mail. Vous pouvez aussi la partager autour de vous, c'est comme ça qu'elle existe ! Et si vous n’êtes pas encore inscrit·es et que vous voulez la recevoir un mercredi sur deux, c’est par ici :
À bientôt !
Superbe lettre de nouveau. Très instructive et curieuse. Merci Sam !